Zonages
Une histoire comparée des périmètres de protection, d’exclusion et de développement (18e-20e siècles)
Colloque organisé par Frédéric Graber,
au Centre de recherches historiques (EHESS-CNRS), Paris, les 16 et 17 mars 2017.
Événement soutenu par l’ANR Govenpro.
Les propositions de communication sont à soumettre par courrier électronique à l’adresse histoireduzonage AT gmail.com, avant le 1er octobre 2016. Chaque proposition devra inclure les nom et courriel du conférencier, un CV d'une page, un titre et un texte de proposition de 600 mots maximum. Les intervenants retenus verront leurs frais de déplacement et de logement pris en charge. Les réponses aux propositions seront envoyées avant le 1er novembre 2016.
Pièce jointe et argumentaire ci-dessous
Nous vivons dans un monde de zones, de parcs naturels, de zones
d’intérêt écologique, de zones d’activité commerciale ou industrielle, de zone
d’aménagement, d’abords de monuments historiques, etc. Ces périmètres spéciaux prétendent conserver des objets, des
êtres ou des espaces patrimonialisés, naturels ou bâtis, protéger les personnes
et les propriétés contre des activités perçues comme dangereuses ou
désagréables, garantir l’accès (rivages, marche-pieds) ou au contraire
l’interdire (zones protégées ou contaminées), mais aussi développer, promouvoir
certaines activités en leur offrant un lieu et un cadre d’exception (zone
franche), parfois en reportant dans un espace limité ce qu’on a interdit
ailleurs.Ces multiples périmètres sont souvent considérés comme des phénomènes
récents, remontant au mieux à la dernière guerre, alors que le terme même de
« zone » migre du vocabulaire climatique vers le vocabulaire
militaire dans les années 1790 (zones de frontière et zones de servitude autour
des places fortes). Le droit de l’Ancien Régime est d’ailleurs déjà fortement
marqué par la localisation différenciée des activités – territoires affranchis
des corporations, espaces dédiés aux activités insalubres, etc. Que ce soit dans le droit romain ou dans la common law, l’idée que l’on peut
délimiter un périmètre pour l’attribuer à une activité spécifique, y
restreindre les usages, et plus généralement y créer des droits différents –
dérogeant au droit commun – a une longue histoire. Par ailleurs, la plupart de
ces périmètres sont saisis dans des historiographies différentes qui ne
discutent guère entre elles (les parcs naturels, les abords des monuments
historiques, les zones d’interdiction de la publicité, etc.), alors que les outils législatifs et administratifs présentent
des régularités assez frappantes. Enfin le zonage est surtout considéré comme
un phénomène urbain, caractéristique des politiques de la ville – le terme zoning est réservé dans
l’historiographie américaine à l’urbanisme alors qu’on emploie le plus général land use regulation pour les contextes
ruraux, comme si les deux phénomènes n’étaient pas liés.Ce colloque souhaite donc réunir des chercheurs travaillant sur l’un
au moins de ces outils du zonage –
c’est-à-dire toutes les pratiques qui délimitent des périmètres de droits
spécifiques, au-delà du terme de zone – afin de les comparer dans la longue
durée, du 18e au 20e siècle. Les contributions se
concentreront sur les dimensions procédurales du zonage : quelles
institutions, quels acteurs, procèdent au zonage, via quelles formalités, avec quelles résistances ? En quoi
consiste ce zonage, quels droits cherche-t-on à modifier, comment le
justifie-t-on ? On tentera donc de s’intéresser surtout aux dispositifs de
zonage, plutôt qu’aux zones en tant que telles.On s’intéressera tout d’abord à la manière dont les périmètres sont
définis. S’agit-il de délimiter un objet présenté comme naturel – un marais,
une forêt, etc. – dans lequel les
droits sont reconfigurés ? Qualifier un terrain de marais, c’est donner la
possibilité à des entrepreneurs de se l’approprier. Qualifier un terrain de
forêt, c’est restreindre les usages possibles dans cet espace. S’agit-il, au
contraire, d’étendre l’objet visé par le zonage en l’augmentant d’une distance
donnée, d’un rayon ? Ainsi les abords des monuments historiques ou les
limites d’approches des exploitations souterraines, mines et carrières. On
pourrait ici comparer des débats visant à maintenir des rayons fixes, ou à
laisser à l’administration un degré de liberté dans la définition ou
l’adaptation au contexte de ces rayons. On pourrait s’intéresser à ce qui
justifie l’adoption d’un rayon plutôt qu’un autre. Lorsqu’on ne prétend pas
couvrir un objet « naturel » ou étendre par rayon la protection ou la
concentration, comment justifie-t-on la définition d’un périmètre d’exception
arbitraire – ce qui est le cas tant des projets d’infrastructure (la route
pourrait passer ailleurs, la zone d’activité s’arrêter un peu plus près ou plus
loin) que des projets de classement de toutes sortes (routes, parcs naturels, etc.)On s’intéressera également à la nature des droits qui sont modifiés
par le zonage, et à l’écart possible entre les justifications et les résultats.
S’agit-il de permettre une réappropriation, un transfert de propriété ?
S’agit-il d’imposer des servitudes, de passage, d’entretien, etc., de restreindre les droits d’usage,
d’orienter les pratiques et les activités ? S’agit-il de garantir ou
d’augmenter la valeur immobilière ? Comment la protection
s’articule-t-elle avec l’exclusion ? L’histoire environnementale a bien
montré que la protection des espaces naturels passe par leur redéfinition en
profondeur, et en particulier par l’exclusion d’un grand nombre de personnes et
d’activités qui avaient façonné ces espaces et avaient sur eux des droits
anciens. De même qu’il y a eu des « réfugiés de la conservation »,
peut-on dire qu’il y a eu des « réfugiés du zonage » ? Dans
quelle mesure le zonage est-il cumulatif : est-ce que l’on zone d’autant
plus un espace qu’il a déjà été l’objet de mesures similaires ? Est-ce que
le zonage accumule d’un côté les privilèges et les protections et de l’autre
les pauvretés, les marginalités ? On peut aussi se demander comment la
protection, la patrimonialisation, s’articule avec le développement : qui
protège-t-on, qui exclue-t-on, pour favoriser quel type de développement ?
L’intérêt de réunir des chercheurs travaillant sur des types de zonage très
différents, c’est justement d’interroger si la protection d’un patrimoine
naturel ou bâti fonctionne d’une manière si différente des restrictions ou
encouragements qui entourent diverses activités industrielles ou commerciales,
ou des politiques de concentration des nuisances (quartiers réservés). Enfin, on s’intéressera très précisément aux outils administratifs et
législatifs mis en œuvre dans chaque type de zonage : comment procède-t-on
au zonage ? Un règlement suffit-il, faut-il exproprier, faire passer une
loi, ou le zonage opère-t-il au contraire hors de tout cadre officiel ? Il
faut, en effet, s’interroger, au-delà des actions des autorités, sur la
capacité des acteurs à produire des zonages de
facto, c’est-à-dire des exclusions ou des concentrations d’activités ou de
personnes dans des périmètres donnés. Ainsi, par exemple, les banlieues
blanches états-uniennes d’après-guerre qui se préservent, via les professionnels de l’immobilier, contre la mixité raciale.