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Objet : Histoire des techniques
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- From: Marina Maestrutti <Marina.Maestrutti AT univ-paris1.fr>
- To: athena <athena AT services.cnrs.fr>
- Subject: [ATHENA] Appel à contribution - Revue d'Anthropologie des connaissances
- Date: Thu, 27 Sep 2018 18:07:50 +0200
Barbara Pentimalli (Département de Sociologie, Université Sapienza de Rome, Italie) et
Vanessa Rémery (Equipe Interaction & Formation, Secteur Formation des adultes, Laboratoire RIFT, Université de Genève, Suisse).
De nombreuses recherches en sociologie et en anthropologie soulignent combien les activités de travail impliquent des manières de voir spécifiques permettant aux professionnels de discriminer les détails pertinents de leur environnement pour agir de façon compétente (par exemple Goodwin, 1995, Mondada, 2003; Grasseni, 2004; Nicolini, 2007; Styhre, 2011). Dans la continuité de ces recherches, ce numéro thématique propose d’explorer en quoi et comment ce “savoir voir” peut relever d’une question anthropologique et non d’une perspective individuelle, cognitive ou mentale. Chaque métier se distingue par des façons de regarder et d’observer certains phénomènes. Comment ce “savoir voir” forge-t-il une expertise et un point de vue sur le monde (Cornu, 1996)? En quoi s’inscrit-il dans des façons collectives de réaliser le travail (Clot, Fernandez & Scheller, 2007) pour poser un diagnostic, prendre des décisions et produire des jugements (Latour, 1986)? Comment est-il construit, légitimé, partagé et transmis au sein des communautés de pratiques (Lave & Wenger, 1991)? Peut-il être appréhendé comme une “technique du corps” susceptible d’un apprentissage (Mauss, 1950)? Il s’agit donc d’interroger comment ces habiletés, que nous qualifions de “visuelles”, prennent-elles place dans des pratiques collectives et sociales, à la fois modelées par l’histoire et accomplies in situ. Et comment se construisent-elles dans des espaces d'action et d'interaction avec les membres d’une même communauté professionnelle ou épistémique (Goodwin et Goodwin, 1996 ; Bril, 2002).
La notion de “vision professionnelle” proposée par l’anthropologue et linguiste Charles Goodwin (1994) se définit comme “des façons socialement organisées de voir et de comprendre des événements qui répondent aux intérêts spécifiques d'un groupe social particulier” (traduit par nous, p.606). Elle peut être heuristique ici en ce qu’elle ouvre à l’exploration et à la compréhension des habiletés visuelles que les membres d'une communauté de pratiques mobilisent pour remarquer, voir et interpréter les dimensions essentielles de leur activité de travail, mais également pour produire des manières de voir partagées. En effet, Goodwin articule la notion de “vision professionnelle” à celle de “communauté de pratiques” en soutenant l’idée que devenir un professionnel compétent implique l’apprentissage de pratiques discursives et interprétatives articulées à des façons de voir spécifiques à la communauté. Ce dossier thématique vise donc à explorer comment les “façons de voir” ou “practices of seeing” (Goodwin, 2001; Styhre, 2010) sont apprises, discutées, développées et transmises au sein de communautés professionnelles spécifiques. Comment l’apprentissage de ces habiletés visuelles permet-il aux novices de devenir progressivement capables de voir, de remarquer et d’interpréter ce qui est pertinent pour l’activité, comme sait le faire l’expert qui ‘a l’œil’? Quelles sont les formes et les formats
dans et par lesquels s’opèrent la transmission et le développement de ces “façons de voir” (instructions verbales, gestuelles, mimétisme, etc.)? Autrement dit, comment fait-on voir aux moins expérimentés ce qu’ils ne savent pas encore percevoir ni remarquer en mobilisant des ressources sémiotiques variées (Mondada, 2008)? Comment apprend-on à voir en manipulant différents outils et artefacts pour parvenir à maîtriser le savoir-faire de son métier (Stevens & Hall, 1998)? Dans cette perspective, nous explorons la façon dont le novice apprend, au contact de ses pairs, non seulement à percevoir et envisager ce que l’environnement offre comme possibilités d’action - les “affordances” au sens de Gibson (1979) - mais aussi à s’y engager en tant que membre légitime de la communauté de pratiques. La question est donc de comprendre finement comment la transmission des habiletés visuelles par les membres les plus expérimentés d’une communauté de pratiques est fondamentalement ancrée dans les “ethnométhodes” (Garfinkel, 1986) par lesquelles ils donnent du sens à ce qu’ils voient et font.
Renouant avec certains questionnements chers à la Revue d’Anthropologie des Connaissances dès sa création autour de l’étude des modalités de production et de développement de connaissances pratiques, ce numéro thématique se centre sur l’étude des “practices of seeing” ou “façons de voir” au sein de diverses communautés professionnelles en tenant compte plus spécifiquement des évolutions techniques et technologiques actuelles qui les traversent. En effet, ces évolutions rompent, questionnent voire déstabilisent parfois les métiers tels qu’ils étaient pratiqués jusqu’à présent. C’est pourquoi il apparaît important de ré-interroger les perspectives ouvertes par l’étude des “practices of seeing” pour comprendre en quoi ces innovations techniques et technologiques transforment les manières “traditionnelles” de voir et/ou en développent des nouvelles. Ce sont les dimensions incarnées, socio-techniques et situées de l’apprentissage, de la transmission et du développement de ces “façons de voir” qui nous intéressent particulièrement. Nous souhaitons ainsi explorer la fabrication du regard et plus largement d’une “vision professionnelle” dans l’apprentissage de métiers dont les technologies évoluent continuellement. Les articles composant ce numéro thématique pourront ainsi développer des réflexions épistémologiques, théoriques, méthodologiques, contribuant plus globalement à une “anthropologie de la transmission” (Chevallier, 1996; Berliner, 2010) qui réhabilite la place des habiletés visuelles dans ce qui contribue à la permanence ou la transformation de pratiques expertes du fait de ces changements techniques et technologiques.
Le numéro thématique privilégiera des études se focalisant sur les habiletés visuelles mobilisées dans différents champs de pratiques professionnelles pour explorer en quoi les “façons de voir” participent de la réalisation compétente du travail et pour mettre en discussion l'idée qu’on n’apprend peut-être pas à voir seulement avec les yeux mais aussi avec les mains, les gestes, les paroles, les artefacts et les technologies peuplant nos univers professionnels. Le numéro se propose ainsi de questionner le rôle du corps, du langage et des artefacts pour comprendre en quoi ils participent activement à “la fabrique du regard” (Sicard, 1998) et à l’apprentissage d’une “skilled vision” (Grasseni, 2004). En effet, les habiletés visuelles se définissent fondamentalement comme des pratiques incarnées (Goodwin, 2000) comportant un apprentissage, certes collectif, mais également corporel. En quoi, alors, la fabrication d’un regard “expert” implique-t-elle non seulement la vue mais aussi tous les sens du corps? Comment l’acquisition du bon “coup d’œil”, les compétences à voir et interpréter ce qui est observé et ce qui est publiquement rendu visible, reposent-elles sur d’autres ressources sensorielles comme l'ouïe, l’odorat et le toucher? En quoi la dextérité des mains et des doigts (Munz, 2017), l'utilisation de gestes de pointage ou d’attitudes corporelles (Filliettaz, 2007) peuvent-elles s’intriquer aux habiletés visuelles? Il est intéressant alors de
comprendre comment s’articulent et s’imbriquent les différentes ressources sémiotiques, perceptives et sensorielles dans la fabrication du regard “expert”.
Le regard “expert” implique également la manipulation d'instruments de travail, d’artefacts, y comprises les technologies d’image (Streeck, Goodwin et LeBaron, 2011). La présence de ces dernières est de plus en plus importante dans les pratiques de travail (par exemple dans le domaine de la recherche médicale, Alač et Hutchins, 2004) ou de formation (Mottet, 1996). Les “practices of seeing” sont donc hybrides et de plus en plus outillées par des technologies qui “aident” à voir (Grosjean, 2014). Leur transmission est souvent médiée, instrumentée et distribuée sur différentes entités matérielles. Le développement de la capacité à ne voir que des phénomènes ou des événements significatifs – ainsi que les compétences à interpréter ce qui est vu, comprendre pourquoi il est important de regarder un détail plutôt qu'un autre, et savoir comment utiliser les artefacts et les technologies d’image pour parvenir à voir – est un défi pour les novices. Ce numéro thématique interroge à la fois la place et le rôle des artefacts et des technologies d’image dans les pratiques visuelles, mais aussi leur contribution à la fabrication du regard “expert” des novices par les processus de réflexivité qu’ils permettent. Comment, par exemple, l’acquisition et le développement des habiletés visuelles peuvent-ils être étayés par des dispositifs sociotechniques permettant la construction d'une manière de voir et d’interpréter l'espace, les situations et les événements?
Le dossier pourra explorer l’usage, dans différents champs de pratiques, des nouvelles technologies d’image pour acquérir et développer non seulement cette capacité à voir mais aussi à produire et représenter les objets d’étude et de connaissance du métier. Dans les recherches ethnographiques et/ou vidéo-ethnographiques (Hindmarsh & Heath, 2007; Knoblauch, Tuma & Schnettler, 2015), ces questions donnent lieu aux réflexions méthodologiques sur la place et le rôle de l’observateur, sur le positionnement et le cadrage de la caméra pour observer et/ou ne filmer que ce qui est significatif pour les membres d’une communauté professionnelle particulière. Cette posture réflexive pourra également se pencher sur l’interprétation des notes, des croquis, des images et des séquences-vidéo (par ex. les ‘data sessions’ se caractérisant par un groupe de chercheurs qui visionnent et négocient ensemble le sens des images recueillies sur le terrain) ainsi que sur le parcours du chercheur (sociologue, anthropologue, ergonome…) devant lui aussi apprendre à voir et se fabriquer un regard expert pour donner du sens à ce qui se déroule sous ses yeux sur le lieu de travail et/ou à l’écran. La réflexion sur l’usage des images et des données vidéo est ouverte également à d’autres professionnels dans différents domaines (tels que la médecine, le sport, l’éducation, les laboratoires scientifiques etc.) qui s’appuient sur des photos, des schémas, des dessins, des graphiques, des images et des séquences vidéo pour agir, enseigner, décider, juger, diagnostiquer, montrer et fournir des preuves…
Sans qu’il s’agisse ici d’être exhaustif, voici un certain nombre de points que nous proposons aux contributeurs du dossier d’explorer.
- La notion de “vision professionnelle”: potentialités et critiques d’un point de vue théorique et méthodologique ;
- La place de l’analyse des “façons de voir” dans le champ des sciences du travail et de la formation ;
- Le développement, l’éducation ou la fabrication du regard “expert” dans différents métiers ;
- Le rôle de la vue et des habiletés visuelles dans les activités de travail ;
- L’apprentissage et la transmission des manières de voir dans des univers professionnels variés;
- La place et l’usage des artefacts et des nouvelles technologies d’image dans la fabrication du regard “expert” et dans la production et représentation des objets de connaissance ;
- Le rôle du corps, de la dextérité gestuelle et des instructions dans l’apprentissage de la vision professionnelle;
- La réflexivité méthodologique des recherches ayant recours à l’ethnographie et/ou à la vidéo-ethnographie pour étudier ce qui relève de l’apprentissage d’une vision professionnelle ;
Mots-clés: Vision professionnelle; Apprendre à voir; Façons de voir; Habiletés visuelles; Formation; Dextérité corporelle; Ressources sémiotiques multimodales; Vidéo-ethnographie
Calendrier
- Les propositions d’articles devront être envoyées au plus tard le 30 novembre 2018 à l’adresse des coordinatrices Barbara Pentimalli (pentimab AT hotmail.it) et Vanessa Rémery (vanessa.remery AT unige.ch).
- La longueur des propositions d’articles devrait être d’environ 5000-6000 signes (soit 2 pages). Elles devront préciser l’intérêt et l’originalité de la question de recherche traitée au regard de la littérature existante, les méthodes et données employées, les principaux résultats et expliciter leur inscription dans les thématiques de l’appel. Les auteurs veilleront à mentionner leurs coordonnées complètes (statut, institution de rattachement, adresse postale et email).
- Les notifications d’acceptation ou de refus seront envoyées aux auteurs le 30 décembre 2018.
- Les textes complets des articles (45 000 signes max. espaces compris au format .doc) devront parvenir pour le 15 mars 2019 (soumission sur le site en ligne de la Revue d’Anthropologie des Connaissances et envoi en parallèle aux coordinatrices) et feront l’objet d’une expertise.
- Les versions finales des articles devront être retravaillées pour le 15 août 2019
- La publication du numéro thématique est prévue en juin 2020.
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Maitre de conférences en Sociologie
Département de Sociologie (UFR 10)
CETCOPRA (Centre d'Etude des Techniques, des Connaissance, des Pratiques
13, rue Sainte Croix de la Brétonnerie 75004 Paris
Téléphone : +33 142788450 - Fax : +33 1 - Portable : +33 617477652
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- [ATHENA] Appel à contribution - Revue d'Anthropologie des connaissances, Marina Maestrutti, 27/09/2018
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