[ATHENA] Parution ouvrage philosophie des techniques

[xavier.guchet AT club-internet.fr]

‌Bonjour à toutes et tous,
Je me permets de vous signaler la parution d’un ouvrage aux éditions ISTE/Wiley, en français et en anglais, intitulé Du soin dans la technique. Question philosophique (Care in Technology). Vous trouverez un argumentaire ci-dessous.
Bien cordialement,
Xavier Guchet


L’injonction morale au « prendre soin » s’est étendue bien au-delà de la prise en charge des patients et de l’assistance aux personnes vulnérables : elle concerne aussi, désormais, la nature, la planète, la biodiversité, c’est-à-dire des objets non humains globaux qui ne relevaient pas jusqu’à tout récemment d’un devoir de soin au sens moral du terme. Le diagnostic paraît simple : notre agir dans le monde s’est rendu gravement coupable d’incurie, il est urgent d’y mettre davantage de soin en reconfigurant nos systèmes de production et nos modes de vie. Dans ce contexte, la technique est généralement tenue pour antinomique du soin. En médecine, dans l’élevage, en agriculture, il semble devenu évident que plus il y a de médiations techniques, moins il y a de place pour le soin. Il est certes largement admis que la relation de soin ne peut pas être complètement vide de technique : pour prendre soin, il faut de la technicité ; néanmoins cette technicité compatible avec le soin passe pour nécessairement modeste, précautionneuse, exécutée par des gestes délicats et faiblement instrumentée. A compliquer les médiations techniques, notamment par l’utilisation de machines ou d’applications biotechnologiques, on perd dangereusement de vue le soin.
Pourtant, des Grecs anciens jusqu’au XVIIIe siècle, la technique n’avait pas cessé d’être pensée en lien étroit avec des impératifs de prudence et de soin. Quelque chose s’est donc produit dans un passé récent, conduisant à voir la technique comme une activité foncièrement étrangère à ces deux valeurs. Suffit-il pour expliquer ce phénomène d’incriminer la Révolution industrielle et ses choix délétères en matière d’environnement ? L’ouvrage répond négativement en situant le problème à un niveau plus profond. Il défend l’hypothèse que le divorce de la technique et du soin trouve son origine dans un clivage plus fondamental : une rupture opérée entre la technique et la vie, dont les prémisses remontent au siècle des Lumières. Des Grecs jusqu’à l’époque moderne, et chez Descartes encore, la technique était en effet restée comprise comme organon, prolongement du corps agissant et fabricant. Le XVIIIe siècle marque un tournant décisif avec la montée en puissance d’une toute nouvelle façon de penser la technique : celle-ci est désormais conçue comme une production de l’intelligence destinée à reconfigurer la vie et les vivants d’un point de vue extérieur à eux. La technique n’est plus l’activité prudente d’un vivant faisant pleinement partie de la nature ; elle apparaît désormais comme un instrument de maîtrise au service d’une intelligence coupée de la nature.
L’ouvrage entend ainsi mettre au jour les mutations historiques ayant conduit à faire de la technique un impensé du soin. L’agir technique contemporain paraît commandé par la seule puissance du calcul (metron) et ne semble plus soumis à ce qui aurait pourtant dû rester le principe directeur de tout agir technique : la faculté du metrion, c’est-à-dire de la juste mesure, de la convenance et du soin. Comment en sommes-nous venus à dissocier aussi radicalement la technique et le soin, le metron et le metrion – et surtout, comment réintroduire le metrion, la justesse et le soin, dans notre agir technique ?
Après l’explication, les propositions. L’ouvrage analyse les tentatives philosophiques, aux XIXe et XXe siècles, visant à réinscrire la technique dans la vie. Il examine dans quelle mesure ces tentatives orientent, ou pas, vers la conception d’un agir technique plus soigneux et soignant. Il se termine en proposant, à destination des ingénieurs et designers, quatre principes directeurs d’une conception de la technique orientée par les valeurs du soin.
L’ouvrage entend ainsi contribuer à la réflexion sur l’innovation responsable. Que signifie la responsabilité en matière d’innovation technique ? Non pas seulement respecter des règles, des procédures et des bonnes pratiques, mais aussi et surtout : prendre soin.