Accéder au contenu.
Menu Sympa

athena - [ATHENA] AAC - Colloque "Les chemins de l'émancipation ? Les femmes dans les mondes ruraux en France aux XIXe et XXe siècles

athena AT services.cnrs.fr

Objet : Histoire des techniques

Archives de la liste

[ATHENA] AAC - Colloque "Les chemins de l'émancipation ? Les femmes dans les mondes ruraux en France aux XIXe et XXe siècles


Chronologique Discussions  
  • From: Fabien Knittel <fabien.knittel AT orange.fr>
  • Subject: [ATHENA] AAC - Colloque "Les chemins de l'émancipation ? Les femmes dans les mondes ruraux en France aux XIXe et XXe siècles
  • Date: Thu, 16 Nov 2023 16:55:26 +0100 (CET)
  • Importance: Medium

Chers et chères collègues,


Veuillez trouver ci-dessous l'appel à communication (version PDF : http://crh.ehess.fr/index.php?8985) pour le colloque intitulé Les chemins de l'émancipation ? Les femmes dans les mondes ruraux en France aux XIXe et XXe siècles, qui se tiendra à Rennes les 16, 17 et 18 octobre 2024. 

Cet événement est organisé en partenariat avec le Musée de Bretagne de Rennes. Il est d’abord ouvert à l’ensemble des chercheur·e·s en histoire, mais il s’adresse aussi aux autres sciences sociales. Une attention particulière sera accordée aux propositions qui s’inséreront dans les axes présentés ci-dessus. Elles pourront être faites en français ou en anglais. Une publication est envisagée à l’issue du colloque.


Les propositions de communication comporteront un titre, un résumé de 2000 caractères et un court CV. Nous vous remercions de bien vouloir adresser vos propositions à : colloque.femmes-campagnes AT proton.me avant le 15 mars 2024.


Comité d’organisation et scientifique :


Estelle Deléage (Université Caen-Normandie, cerrev)

Clémence Gadenne-Rosfelder (ehess, crh)

Anthony Hamon (Université Rennes 2, Tempora)

Fabien Knittel (Université de Franche-Comté, Centre Lucien Febvre)

Corinne Marache (Université Bordeaux-Montaigne, cemmc)

Caroline Muller (Université Rennes 2, Tempora)


Bien cordialement,

Pour le comité,

Fabien Knittel


-------------------------------------------------

  •   Cadrage

     Dans l’introduction du tome 4 de l’Histoire des femmes en Occident, consacré au xixsiècle et paru en 1991, Georges Duby et Michelle Perrot rappellent que la « modernité est une chance pour les femmes1 ». Voilà pourquoi, expliquent-ils plus loin, les mondes ruraux et leurs populations sont exclus de leur étude, parce que c’est le changement qui « rend pertinent une histoire des femmes, là où elles se révèlent non comme des figurantes, mais comme des actrices de l’histoire2 ». Le constat se situe à l’intersection de deux courants historiographiques, l’un marxiste, l’autre féministe, qui font de l’émancipation des femmes le fil conducteur de leur histoire contemporaine3. Or, pour ces deux écoles, les campagnes des xixe et xxsiècles ne forment pas un univers propice à l’affranchissement de la domination masculine. Dans la conception marxiste, en effet, la civilisation urbaine et industrielle crée les conditions de l’amélioration de la condition féminine ; tandis que dans une perspective féministe, « l’image de la femme rurale n’est pas celle de la militante4 ». Ainsi jusqu’au milieu du xxsiècle, au moins, les femmes villageoises sont présentées comme les prisonnières d’une société patriarcale tout aussi immuable qu’implacable, incarnée par les figures du père, du mari et du curé. Dès lors, les mondes ruraux apparaissent sous cet angle comme le conservatoire de tous les archaïsmes par opposition aux villes qui constitueraient le foyer du progrès. Selon ces mêmes points de vue, l’exode rural, qui vide peu à peu les campagnes françaises de ses habitants à compter des années 1870, serait un facteur essentiel d’émancipation dans l’histoire contemporaine des femmes. L’analyse prend en tout cas le contre-pied du discours agrarien qui prévaut entre le dernier tiers du xixsiècle et la seconde moitié du xxsiècle qui fait de la ville un lieu de dépravation et de déclassement pour les jeunes émigrées rurales. Les femmes sont encore accusées par les responsables politiques et syndicaux de l’époque d’avoir « lâché pied les premières et donné le signal de l’exode », ainsi que l’écrit Jules Méline en 19195. Dans le Bal des célibataires, Pierre Bourdieu ne les contredit pas en désignant les femmes comme le « cheval de Troie du monde urbain6 », et en attribuant à l’émigration rurale féminine un rôle décisif dans le déclin de la condition paysanne à partir des années 1960.

Ainsi la fuite des femmes rurales aurait été l’un des facteurs d’accélération de la « fin des paysans », dépeinte prématurément par le sociologue Henri Mendras7, à l’heure où la révolution productiviste marque la transition de la ferme à l’entreprise agricole8. Ce passage d’un système agricole à un autre, jugé plus « moderne », renvoie à la lente et laborieuse reconnaissance de l’agricultrice comme cheffe d’exploitation. L’ouvrière agricole, considérée comme « salariée » après 1918, jouit plus rapidement d’un statut individuel, même s’il n’efface pas pour autant les inégalités de genre (rémunération moins élevée que celle des hommes, « volatilité » de l’emploi féminin, etc.)9.

      Au xixsiècle et durant les deux premiers tiers du xxsiècle, le travail des paysannes n’est pas reconnu officiellement en raison de l’assimilation juridique de la ferme au ménage. Le fonctionnement de la petite exploitation rurale, qui s’affermit peu à peu au xixsiècle, se fonde alors sur une division sexuée et genrée des tâches10. Les élites de cette époque considèrent, à tort, que le travail effectué par l’épouse en dehors des tâches domestiques ne forme qu’un « complément ». Notons que la Révolution de 1789, suivie de la promulgation du Code civil, entraîne un durcissement du discours dominant sur les rôles de genre qui pèse sur les représentations extérieures de la « paysanne ». Toutefois, l’idéal type de la répartition genrée des tâches connaît un premier bouleversement avec la Première Guerre mondiale. Les épouses sont amenées à diriger l’exploitation agricole en l’absence de leurs maris partis au front ou tués sur les champs de bataille. Mais est-ce alors vraiment « l’heure des femmes », comme l’écrivent les auteurs du dernier tome de l’Histoire de la France rurale11 en 1977 ? Certes, le statut social des exploitantes évolue quelque peu au sein de la famille dès l’après-guerre, mais le discours sur le rôle maternel et procréateur des femmes est revivifié dans une France endeuillée et saisie par une véritable « obsession populationniste12 ». D’autre part, les dirigeants craignent que l’inflexion des rôles de genre lié à la guerre et son hécatombe ne favorise la pénétration du féminisme dans les campagnes. L’enseignement agricole féminin, créé par les républicains vers la fin du xixsiècle dans le but de soustraire les femmes à l’emprise de l’Église catholique, se voit attribuer une double fonction sociale après 1918 : la lutte contre l’exode rural et la dénatalité d’une part, la formation de la « bonne » ménagère agricole d’autre part. La fondation de la Jeunesse agricole catholique féminine en 1933, l’élargissement du droit de vote aux femmes en 1944, ainsi que les événements de mai 1968 ; tous ces éléments font que celles qui ne sont pas encore reconnues comme exploitantes à part entière refusent de plus en plus d’être reléguées au rang de collaboratrices silencieuses de leurs maris. En 1980, l’instauration du statut de « co-exploitante » autorise les épouses à prendre part à la gestion administrative de l’exploitation. La création du statut d’exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) en 1985 complète la réforme précédente en opérant une répartition égale du pouvoir décisionnaire entre les deux conjoints. La sociologue Rose-Marie Lagrave constate que les agricultrices acquièrent leur identité « au nom des vertus familiales, mais sont intégrées au champ politique qui jusqu’alors les ignorait13 ». Si elles ont désormais une identité professionnelle, les agricultrices restent dépourvues de droits personnels. En créant le statut de « conjoint collaborateur », la loi d’orientation agricole de 1999 leur ouvre des droits à la retraite 44 ans après les hommes. Toutefois, le législateur ne reconnaît pas l’agricultrice indépendamment de sa situation familiale, sa cotisation étant à la charge du chef d’exploitation14. La véritable rupture sur le plan politique n’intervient qu’au début du xxisiècle. La loi de modernisation de l’agriculture du 27 juillet 2010, qui autorise la constitution d’un groupement agricole d’exploitation commun (GAEC) entre époux, dissocie enfin la famille de la ferme. La loi stipule en effet que les « femmes changent de statut et de rôle : elles abandonnent la place de conjointe participant aux travaux pour devenir chef d’exploitation ; elles constituent des sociétés avec leur mari ». Cette évolution statutaire ne doit pas occulter la pesanteur des rapports de genre hérités des xixe et xxsiècles (division sexuelle des tâches, travail domestique peu partagé, persistance des représentations sexuées, etc.)15. Cependant, la France ne compte plus que 320 000 travailleuses de la terre en 1996 (3 % de la population active), contre 2,5 millions en 1931 (12 % de la population active), 3,3 millions en 1891 (20 % de la population active) ou 5,7 millions en 1851 (36 % de la population active).

      À la fin du xxsiècle, agricultrices et salariées agricoles ne représentent donc plus qu’une minorité dans la population rurale féminine. La décorrélation de plus en plus nette, surtout à compter des années 1970, entre le travail agricole et le simple fait de vivre à la campagne, soulève de nouvelles problématiques16. La frontière entre ces deux dimensions est beaucoup plus floue au xixsiècle, quand le fonctionnement économique des exploitations agricoles se fonde sur la pluriactivité. Existe-t-il dès lors des spécificités chez les travailleuses de la terre en comparaison des femmes qui vivent en milieu rural en occupant un emploi dans un autre secteur ou bien sont retraitées ? Quels sont les éléments qui rapprochent et surtout différencient ces femmes de celles qui habitent en ville ? Quel jugement portent-elles sur la société rurale dans laquelle elles vivent parfois depuis toujours ? Les corps féminisés de la fonction publique entretiennent ainsi des rapports singuliers avec le reste de la population rurale féminine, comme les institutrices villageoises ou les sages-femmes (ou « accoucheuses ») au xixsiècle. « Fer de lance d’une naissance sûre » dans les campagnes, ces dernières sont soupçonnées par les autorités de prêter la main à l’avortement, l’infanticide ou encore l’abandon d’enfants17. La figure de la sage-femme se situe à l’intersection des préoccupations de santé publique, nées de la Révolution française, et des tracas du privé et de l’intime.

      L’interpénétration croissante entre les espaces urbains et ruraux — la « rurbanisation » des années 1970-1990 — brouille quelque peu la définition de la ruralité. Les femmes rurales de cette époque-là, cachées par les agricultrices et par les habitantes des zones périurbaines, commencent à peine à attirer l’attention des chercheurs et des chercheuses. Dans Les filles du coin, enquête sur la jeunesse rurale féminine d’origine populaire au xxisiècle, la sociologue Yaëlle Amsellem-Mainguy en conclut que la mobilité est un enjeu qui se situe au cœur des préoccupations des personnes interrogées18. La mobilité a d’abord une vocation professionnelle, car l’offre d’emploi est plutôt limitée dans les territoires ruraux. Il semble alors que la recherche d’un métier soit moins guidée par une volonté d’ascension sociale que par le désir de « servir, être utile, s’occuper des autres19 ». Cela permet aussi à ces filles d’échapper au contrôle social exercé par les familles sur leur comportement qui reste un gage de respectabilité. Partir serait-il, encore au début du xxisiècle, la condition essentielle d’une forme d’émancipation des femmes rurales ?


  •     Objectifs et état de l’art

    Ce colloque vise à (ré) interroger, pour le xixe et le xxsiècle, les grandes dynamiques et les récits de l’histoire des femmes rurales. Il s’agit de nourrir de façon plus soutenue le dialogue entre histoire rurale et histoire des femmes et du genre, comme l’ont fait par exemple les organisateurs des Journées internationales d’histoire de Flaran, les 11 et 12 octobre 2019, pour la période médiévale et moderne1. Un bref coup d’œil dans deux revues de référence, Clio et Études rurales, permet de se rendre compte de la nécessité de ce dialogue. Si la revue Clio a consacré plus de trente ans de travaux à l’histoire des femmes et du genre, aucun numéro thématique n’est dédié aux femmes de la campagne ; l’index des mots clefs ne mentionne ni le mot « campagne » ni le mot « rural ». Le mot « paysanne » ne remporte pas plus de succès. Du côté de la revue Études rurales, l’index et les mots « femmes » et « féminisme » renvoient à une dizaine d’articles tout au plus. Le sujet apparaît à l’heure actuelle bien plus couvert en sociologie qu’en histoire, grâce notamment aux études pionnières d’Alice Barthez et de Rose-Marie Lagrave, effectuées dans les années 19802. En 2005, l’historienne Jacqueline Sainclivier impute le manque de travaux historiques français sur les agricultrices « en partie à cause de l’accès aux sources et d’une longue frilosité sur le temps présent. De ce fait, explique-t-elle, ce sont les sociologues qui pallient l’absence des historiens3 ». Les rares thèses d’histoire rurale centrées sur les femmes aux xixe et xxsiècles4, parues durant les années 2010, sont loin d’avoir épuisé leur objet. Ce qui apparaît comme un vide historiographique semble d’autant plus criant que nombreux et anciens sont les travaux étrangers à s’être appropriés cette double thématique comme objet d’étude, et ce d’un point de vue général5, sous le rapport de leur engagement politique6, du point de vue du travail féminin7, d’un vécu spécifiquement féminin8, ou qui engloberaient plusieurs de ces thèmes9. Le principal objectif des organisateurs et des organisatrices du colloque consiste à encourager les travaux sur ces thématiques tout en essayant de dresser un bilan des recherches menées au cours des dernières décennies. Les propositions de communication pourront s’inscrire dans les axes ci-dessous.


  •     Présentation des axes


I. Les femmes au travail dans les mondes ruraux


Les communications sont invitées à s’intéresser à la variété des expériences du travail dans les mondes ruraux, sans cesse réduites à la paysanne : filles de ferme et autres domestiques, nourrices, petits métiers et artisanats, etc. Les travaux sur les paysannes sont évidemment bienvenus, en particulier ceux qui seraient sensibles aux prises de responsabilité féminines et à leur variation selon les branches agricoles (céréaliculture, viticulture, élevage…). Cette entrée par le travail invite également à intégrer la question des femmes travailleuses étrangères, par exemple les employées agricoles polonaises du début du xxsiècle. Cela doit conduire à interroger la visibilité et l’invisibilité du travail des femmes : la figure de la glaneuse, immortalisée par le célèbre tableau intitulé Les Glaneuses (1857), masque toute une variété de situations : le travail des petites et très jeunes filles ou encore le travail des paysannes-ouvrières et ouvrières paysannes dans l’industrie rurale qui fait long feu. L’expansion du secteur de l’agroalimentaire entraîne une présence accrue des femmes de la campagne dans l’industrie bretonne à partir des années 19701. Beaucoup sont des filles d’exploitants agricoles sans formation professionnelle au moment de leur entrée à l’usine. Pour réfléchir au travail féminin dans les mondes ruraux, il est aussi nécessaire d’aborder la formation, les apprentissages, les transmissions de compétences et d’usages, que ce soit dans la famille ou à l’école et dans les premières formations spécialisées (écoles ménagères). Les propositions qui touchent à l’histoire des sciences et des techniques sont bienvenues, en particulier toutes celles qui concernent les usages professionnels des femmes ou encore les adaptations liées à leurs nouvelles occupations (nous songeons au tracteur de la veuve de guerre décrite par Grenadou2). La mécanisation du travail agricole pendant la « révolution silencieuse » éloigne alors les femmes du travail agricole. En réaction, nombre d’entre elles rejettent l’idéologie productiviste et, à compter des années 1970, sont pionnières dans le développement de formes alternatives d’agriculture paysanne.


II. Des vies « privées » féminines au village


Un deuxième ensemble thématique concerne la « vie privée » des femmes et ses conditions de possibilité dans les sociétés villageoises des xixe et xxsiècles. Si les historiens et historiennes ont identifié une dynamique de « privatisation » des sociétés européennes, celle-ci a plutôt été décrite dans les mondes urbains et bourgeois3. Qu’est-ce que la vie privée des femmes à la campagne ? Pouvons-nous parler d’un contrôle social plus étroit ? Trois typologies peuvent être dégagées afin de définir une grille de lecture qui en facilite l’analyse : l’intimité, la conjugalité et la vie domestique. Les frontières entre ces trois champs sont poreuses et ambivalentes, en particulier dans les sociétés rurales. La sphère de l’intime renvoie à toutes les questions liées aux corps (hygiène, grossesse, maladies, vêtement, etc.) et à la sexualité depuis le berceau jusqu’au tombeau. Par exemple, au xixsiècle, tout un courant hygiéniste souhaite moraliser les comportements individuels pour préserver la santé publique en atténuant les fatigues corporelles4. Le travail agricole est jugé sain, mais éreintant. Dans son Manuel rustique des dames (1844-1845), Cora Millet-Robinet conseille aux fermières de faire de la gymnastique au quotidien pour conserver un corps robuste. Ces exercices « augmentent les forces et le courage ; ils développent la grâce et les belles formes en même temps qu’ils sont très salutaires à la santé5 ». Le domaine conjugal a trait aussi bien au mariage qu’aux relations entre la femme et son époux. Sur ce plan-là, nous pourrons réfléchir à la façon dont la terre pèse dans les choix d’arrangements de mariage dans les familles paysannes. L’absence de conjugalité renvoie au contraire au célibat féminin (voulu ou non), ou encore à l’expérience de l’homosexualité, vécue bien différemment à la campagne qu’en ville lors des dernières décennies du xxsiècle. La vie domestique rurale se cantonne alors principalement au foyer familial. Quelles conséquences les évolutions de l’équipement ménager produisent-elles sur le quotidien matériel des femmes de la campagne ? Les années 1970 paraissent constituer une véritable rupture au regard de la période précédente en ce qui concerne la structure de la consommation rurale. « Encore présentes dans l’économie domestique des exploitations des années 1970, les productions secondaires de la ferme ont souvent été réduites voire abandonnées au profit de l’économie marchande6 ». L’automobile permet d’aller faire ses achats au supermarché, situé parfois à des dizaines de kilomètres du domicile familial. Il en ressort entre autres que les femmes des zones rurales conduisent plus que leurs homologues masculins7.


III. Des sociabilités genrées


Les questions de non-mixité et de mixité, qui sont constitutives des sociabilités féminines tout au long des xixe et xxsiècles, ne concernent pas uniquement les sociétés rurales. En revanche, elles paraissent calquées sur une autre temporalité et adoptent des formes différentes dans les campagnes, malgré l’introduction progressive de la mixité au sein du milieu scolaire dans les années 1960-1970. Le développement de lieux de sociabilité mixte (bars, salles de concert, discothèques) dans les territoires ruraux, au cours des trois dernières décennies du xxsiècle, multiplie encore les contacts entre les deux sexes. Pour autant, même lorsque l’entre-soi féminin prévaut en matière de sociabilités féminines, il existe déjà des moments propices à la mixité à l’occasion des nombreuses fêtes patronales, des pèlerinages, des foires, ou à partir de l’entre-deux-guerres, lors des rassemblements associatifs. Cette sociabilité mixte qui s’effectue dans un cadre public se prête beaucoup moins à l’intimité amoureuse ou aux jeux érotiques qu’à celle qui a lieu pendant les bals ou les veillées d’hiver8. Elle se déroule toutefois sous le contrôle des familles, du prêtre ou de la communauté villageoise. Les propositions de communication pourront soit porter sur ces épisodes de mixité, soit se focaliser sur le caractère genré des sociabilités féminines. Nous pouvons définir quatre couches de sociabilités, chacune d’elles reposant sur un enchevêtrement de rapports sociaux de natures différentes et se manifestant dans des situations très variables : l’échelle familiale et amicale, l’espace villageois (ou communautaire), la sphère professionnelle, le cadre associatif. En tout cas, cette sociabilité peut être spontanée et informelle. Rappelons-nous de la mère de Pierre-Jakez Hélias et d’autres « matrones » du village qui se réunissent au milieu de l’après-midi chez l’une d’entre elles, à l’insu du mari, médisant sur leurs prochaines autour d’une cafetière neuve9. La sociabilité féminine est pleinement visible dans des lieux publics devenus symboliques, attribués ou réservés à des activités féminines : la fontaine municipale, car l’eau reste l’affaire des femmes, le lavoir, les petits commerces du coin. Après la Seconde Guerre mondiale, la sociabilité féminine s’exprime de plus en plus à travers l’exercice de loisirs. Cependant, dans les communautés rurales et agricoles, la pratique d’un loisir est longtemps assimilée à de la paresse10. C’est en assumant leur rôle de mères de famille que des agricultrices contournent la pression sociale et parviennent à entretenir des rapports de sociabilité au sein d’associations. Ce dernier exemple montre bien les déterminismes relatifs au genre sur la sociabilité des femmes rurales jusqu’à la fin du xxsiècle. Yaëlle Amsellem-Mainguy observe à son tour que lors d’événements festifs, comme une soirée barbecue organisée après un match disputé par le club de football local, le travail d’animation et la distribution des repas reviennent exclusivement aux jeunes femmes et aux mères11.


IV. S’engager au féminin : répertoire d’action et politisation


L’engagement au féminin peut être individuel ou bien s’insérer dans un collectif. Pensons à Huguette Bastide, institutrice de village en Lozère dans les années 1960, qui se saisit de la plume pour alerter l’opinion publique sur l’exode rural et l’état désastreux de ses conditions d’enseignement12. Les propositions de communication sont invitées à explorer les différentes formes de l’engagement féminin en milieu rural, dont le répertoire d’action évolue beaucoup entre le xixsiècle et la fin du xxsiècle13. Avant 1939, les « traces » de cet engagement sont rares, mais elles existent surtout dans le cadre familial, religieux ou encore professionnel. Alors qu’elles ne sont pas encore citoyennes à part entière, les veuves d’exploitants agricoles, tout comme les paysannes qui ont dirigé la ferme en l’absence de leur père, leur frère ou leur mari au cours de la Première Guerre mondiale, deviennent électrices des Chambres d’agriculture départementales instituées en 1924. L’Occupation allemande du territoire métropolitain semble être un moment de transition entre la période précédente et la suivante, du fait notamment de l’engagement de femmes de la campagne dans la Résistance14. Les années 1950-1960 sont ainsi marquées par une participation accrue des femmes rurales dans les organisations syndicales et politiques. L’importance du mouvement jaciste dans la formation militante d’agricultrices mérite d’être rappelée, puisqu’elles deviennent ensuite les cadres du syndicalisme agricole féminin après 1960. Les ressorts de l’engagement féminin en campagne continuent néanmoins d’être majoritairement de nature familiale ou cléricale. Les années 1970-1980 marquent un tournant dans l’engagement des femmes des mondes ruraux, et plus particulièrement pour les agricultrices qui luttent pour la reconnaissance de leurs droits professionnels. Elles réclament un « rééquilibrage des compétences et des pouvoirs au sein du couple exploitant », tout en étant « contraintes par le cadrage normatif de la nécessaire coopération conjugale, au nom de la conciliation entre vie professionnelle et vie privée15 ». Faut-il voir dans leurs revendications l’émergence d’un « féminisme paradoxal » ? Les communications peuvent également s’intéresser à l’engagement féminin dans la vie politique locale, qui s’accroît progressivement à partir des années 1970 (21 % de femmes dans les conseils municipaux des communes rurales en 1995, contre 6,8 % en 1977)16. Il s’avère cependant que l’engagement féminin dans les campagnes est moins élevé que celui dans les villes. L’augmentation du nombre de femmes élues maires de communes rurales pourrait résulter d’une déconsidération de la fonction par les hommes. En retour, ces maires « construisent leur légitimité autour des qualités et des compétences symboliquement associées au genre féminin (…). Elles ont une conception de leur rôle essentiellement tournée vers le dévouement et la sollicitude ». La ruralité est en effet synonyme de proximité.


V. Figures féminines des mondes ruraux et représentations


Ce dernier ensemble thématique concerne les nombreuses figures féminines des mondes ruraux (la « paysanne », la « servante de ferme », la « matrone », « la notable », etc.), et les représentations qui en sont faites dans les discours politiques, la littérature, la poésie, la peinture, la presse écrite, au théâtre, au cinéma, à la radio ou à la télévision. Les représentations artistiques à visées commerciales, ludiques, éducatives, voire politiques, façonnent les imaginaires collectifs des publics contemporains. Ces productions, qui dénoncent en filigrane des problèmes sociétaux, portent un regard lucide et tentent d’expliquer la société du temps au prisme de figures féminines. Dans son roman champêtre La Petite Fadette (1849), George Sand revient sur l’échec d’une « République des paysans » après la révolution de 1848, à travers la figure de la sorcière guérisseuse, en mettant en récit la naïveté des populations rurales. Nous retrouvons les mêmes procédés artistiques à la télévision un siècle plus tard. La série intitulée Cécilia médecin de campagne (1966), diffusée en 13 épisodes sur la première chaîne de l’ORTF, l’illustre bien. L’histoire racontée est celle d’une jeune généraliste qui s’installe dans le village fictif de Tourlezane, univers très masculin, où elle est d’abord mal accueillie. Le fil conducteur de la série est la rivalité entre Cécilia Baudouin, qui incarne la modernité scientifique venue tout droit de la ville, et Augustin Tabouriech, le guérisseur du village. Au fil des épisodes, Cécilia convertit progressivement les villageois au progrès médical grâce à ses qualités « féminines » de bonté et de douceur. Les représentations sont aussi le fruit de nostalgies, de fantasmes ou de projections angélistes sur les mondes ruraux par des individus qui leur sont extérieurs. L’art pictural n’est pas en reste, avec la génération des peintres réalistes sous le Second Empire (Jean-Baptiste Corot, Gustave Courbet, Jean-François Millet…). Dans La Becquée (1860), Millet dresse le portrait idéalisé de l’exploitation de polyculture-élevage, qui repose sur l’harmonie familiale avec une complémentarité des rôles remplis par chaque sexe (l’homme travaille la terre, la femme nourrit les enfants). Les représentations médiatiques créent, reprennent et consolident des stéréotypes déjà en vogue. Par exemple, la série télévisée Sylvie aux trois ormes (1968), qui raconte l’histoire d’amour entre un cultivateur veuf, père de deux enfants, et une fille de la ville voisine, est surtout l’occasion de mettre en lumière la figure de la « patronne », mère du personnage principal, qui dirige sa maison et la ferme d’une main de fer, le tout sur fond de modernisation agricole. Les communications sont enfin invitées à appréhender ces productions en tant que sources historiques, en réfléchissant à la manière dont elles peuvent être utilisées dans l’étude des femmes des mondes ruraux aux xixe et xxsiècles. Nous faisons alors référence aussi bien à la presse agricole qu’aux documentaires réalisés par le Service cinématographique du ministère de l’Agriculture, tels que le film Jeunes filles (1952), ou les 13 portraits de femmes rurales, réunis dans la série « La voix » (1967-1976).




 

Fabien Knittel

Maître de conférences HDR en histoire contemporaine
Université de Franche-Comté

INSPE-57 avenue de Montjoux
BP 41665
25042 BESANCON cedex
06 72 21 48 32
bureau 106 : 03 81 65 71 33

Centre Lucien Febvre EA 2273
UFR SLHS, 32 rue Mégevand
25030 BESANCON cedex

LHSP-Archives Poincaré, UMR 7117 CNRS/Université de Lorraine/Université de Strasbourg

fabien.knittel AT univ-fcomte.fr ou fabien.knittel AT orange.fr





  • [ATHENA] AAC - Colloque "Les chemins de l'émancipation ? Les femmes dans les mondes ruraux en France aux XIXe et XXe siècles, Fabien Knittel, 16/11/2023

Archives gérées par MHonArc 2.6.19.

Haut de le page